Peut-on imaginer des composants électroniques dont le cœur serait fait d’un gel ? Des chercheurs du Laboratoire de nanochimie de l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (CNRS / Université de Strasbourg) viennent d’en faire la démonstration. Ces travaux sont parus dans la revue Journal of the American Chemical Society.
Les gels, en particulier ceux obtenus par auto-assemblage de molécules π-conjuguées, sont des matériaux dynamiques présentant des propriétés (opto)électroniques uniques. Leur nature adaptative leur confère une sensibilité sans précédent à divers stimuli externes. Par un processus de nucléation, les molécules π-conjuguées forment des fibres supramoléculaires qui s’assemblent alors en un réseau tridimensionnel. L’encapsulation de solvant dans ce réseau moléculaire conduit à la formation d’un gel.
Bien que de nombreux « gels π » aient été conçus, ils ont été intégrés dans des dispositifs électroniques exclusivement sous la forme d’aérogels à base de couches minces qui, lors de la solidification, perdent leur capacité à répondre aux stimuli externes. Leur intégration dans des dispositifs réels reste donc un défi majeur.
C’est dans ce contexte que les chercheurs ont entrepris de développer une plateforme polyvalente permettant d’évaluer les propriétés électroniques de gels π « frais ». Ils ont pour cela fabriqué une cavité de dimensions sub-micrométriques à partir de deux électrodes d’or planes, parallèles et séparées par des nano-piliers de fluorure de lithium (isolant électrique). Une telle configuration garantit un champ électrique uniforme dans la cavité et permet de limiter les réactions électrochimiques indésirables en utilisant une tension plus basse (inférieure à 5 volts).
Un polymère conjugué bien connu, le poly(3-hexylthiophène) ou P3HT, a été employé comme semi-conducteur modèle. Ce polymère est déjà largement utilisé dans des dispositifs électroniques organiques (transistors, cellules solaires). Lorsqu’il est dissous à haute concentration dans un solvant aromatique comme le xylène ou le toluène, le P3HT forme un gel constitué d’un réseau de fibres auto-assemblées. Ainsi, la solution de P3HT pénètre par capillarité dans la cavité où le polymère s’auto-assemble en un réseau de fibres, ce qui conduit à la formation in situ d’un gel π très visqueux.
Les chercheurs ont ainsi réussi à obtenir un véritable composant électronique (un « memristor ») à base d’un gel supramoléculaire frais dont la transition de phase est réversible et peut être contrôlée par changement de température. Ces résultats constituent une avancée importante qui pousse les frontières de l’électronique à l’état solide. L’intégration de briques moléculaires fonctionnelles permettra d’augmenter la complexité fonctionnelle des matériaux et peut ouvrir la voie à une nouvelle génération de dispositifs électroniques multifonctionnels non solides.
Référence
Lei Zhang, Songlin Li, Marco A. Squillaci, Xiaolan Zhong, Yifan Yao, Emanuele Orgiu* & Paolo Samorì*
Supramolecular Self-Assembly in a Sub-micrometer Electrodic Cavity: Fabrication of Heat-Reversible π-Gel Memristor
Journal of the American Chemical Society 18 octobre 2017
DOI : 10.1021/jacs.7b04347
Contacts chercheurs
Paolo Samorì, Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires – Strasbourg
Tél. : 03 68 85 51 60
Courriel : samori@unistra.fr
Emanuele Orgiu, Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires – Strasbourg
Tél. : 03 68 85 51 80
Courriel : emanuele.orgiu@emt.inrs.ca