Le graphène comme détective pour élucider l’auto-assemblage moléculaire

Des chercheurs du Laboratoire de nanochimie de l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (Université de Strasbourg/CNRS), en collaboration avec l’Université Humboldt de Berlin et DWI – Institut Leibniz pour les matériaux interactifs/Université technique d’Aix-la-Chapelle (Allemagne), ont démontré que des dispositifs de graphène peuvent être utilisés pour suivre en temps réel la dynamique de l’auto-assemblage moléculaire à l’interface solide/liquide. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications.

L’auto-assemblage moléculaire sur des surfaces est une stratégie puissante pour conférer aux substrats des propriétés programmables. La compréhension de la dynamique du processus d’auto-assemblage est cruciale pour maîtriser la fonctionnalisation des surfaces. Cependant, le défi de distinguer les phénomènes interfaciaux de ceux en volume complique le suivi en temps réel de l’auto-assemblage moléculaire sur un substrat.

Des techniques de microscopie à sonde locale de pointe, comme la microscopie à effet tunnel (STM), ont été utilisées pour suivre la dynamique de l’auto-assemblage à l’interface solide/liquide, mais jusqu’à présent seulement dans de petites populations de (moins de 1000) molécules et avec une faible résolution temporelle (de 1 à 10 secondes).

Dans cette étude, les chercheurs ont montré qu’un transistor incorporant du graphène – un matériau bidimensionnel (2D) très sensible aux changements dans son environnement – peut être utilisé comme un détecteur hautement sensible pour suivre la dynamique de l’auto-assemblage moléculaire à l’interface graphène/solution.

Une molécule photocommutable de type spiropyrane, équipée d’un groupe d’ancrage et pouvant être interconvertie (commutée) de manière réversible entre deux formes différentes (isomères) par la lumière, a été étudiée. Lorsqu’une gouttelette d’une solution de ce composé est déposée sur du graphène, l’isomère spiropyrane ne forme pas de couche ordonnée sur la surface. En contraste marqué, lors d’une irradiation ultraviolette (UV), les molécules en solution passent à l’isomère mérocyanine qui est plan et qui forme une couche hautement ordonnée sur la surface de graphène. Lorsque la lumière UV est éteinte, les molécules reviennent à leur forme spiropyrane initiale qui n’est pas plane et la couche ordonnée se désorbe. De manière importante, la monocouche de mérocyanine induit un changement marqué dans la conductance électrique du graphène ; il est donc possible de suivre la dynamique de sa formation et de sa désorption en enregistrant simplement le courant électrique traversant le graphène au fil du temps.

Cette plateforme simple et robuste basée sur un dispositif de graphène permet le suivi en temps réel du processus dynamique et complexe d’auto-assemblage moléculaire à l’interface solide/liquide. La détection électrique, qui est très sensible, ultra-rapide, pratique, fiable et non invasive, donne un aperçu de la dynamique de plusieurs milliards de molécules couvrant de grandes surfaces (0,1 × 0,1 mm2) avec une résolution temporelle élevée (100 ms). De plus, la sensibilité de surface ultra élevée du graphène permet de démêler la dynamique des différents processus se produisant simultanément à l’interface solide/liquide et dans la solution surnageante. Cette stratégie présente un grand potentiel pour des applications dans la détection (bio)chimique et le diagnostic.

Une gouttelette d’une solution contenant une molécule photochromique est déposée sur un dispositif de graphène. La lumière UV est utilisée pour induire la photoisomérisation, déclenchant la formation d’un assemblage ordonné sur le graphène, qui se désorbe après l’extinction de la lumière UV. L’évolution temporelle du courant traversant le dispositif permet de suivre la dynamique de formation et de dissolution de la couche auto-assemblée.

Graphene transistors for real-time monitoring molecular self-assembly dynamics

Marco Gobbi*, Agostino Galanti, Marc-Antoine Stoeckel, Bjorn Zyska, Sara Bonacchi, Stefan Hecht & Paolo Samorì*

Nature Communications, 2020, 11, 4731

DOI : 10.1038/s41467-020-18604-4