Des miroirs pour influencer la sélectivité

Lors d’une réaction chimique, les molécules constituant la matière sont transformées. Il paraît inconcevable de vouloir influencer le résultat de ces transformations en agissant sur le lieu dans lequel elles se déroulent plutôt que sur les molécules elles-mêmes. C’est pourtant ce que des chercheurs de l’ISIS, une UMR du campus strasbourgeois, ont réussi à accomplir en utilisant un dispositif constitué de deux miroirs en or espacés de quelques micromètres, que les physiciens appellent « cavité optique ».

            A l’intérieur de ces cavités microscopiques, comme partout dans la nature, on trouve des fluctuations électromagnétiques, même dans l’obscurité, qui peuvent être vues comme des ondes confinées entre deux parois. Lorsque les parois sont espacées d’une longueur appropriée, elles sont amplifiées de la même façon que le mouvement d’une balançoire s’amplifie quand on la pousse à intervalles réguliers correspondant à sa fréquence de balancement. Si on injecte un liquide entre les parois de la cavité, les fluctuations électromagnétiques peuvent interagir avec les molécules se trouvant à l’intérieur si la cavité est résonante avec une transition moléculaire. Par exemple si la cavité est résonante avec une vibration moléculaire et que l’interaction est suffisamment forte, les vibrations et la résonance optique forment des états hybrides (à moitié photonique et à moitié vibrationnelle). On dit alors que les molécules sont sous l’influence du couplage fort vibrationnel (VSC).

            Les équipes des professeurs Thomas Ebbesen et Joseph Moran, respectivement spécialisées en nanosciences et en catalyse chimique, commencent une collaboration en 2015 pour essayer de comprendre si le VSC pourrait avoir un effet sur les réactions chimiques. L’année suivante, ils publient un premier article montrant qu’il est possible de ralentir cinq fois la vitesse de déprotection d’un groupement protecteur triméthylsilyl par l’ion fluorure.

            Ce résultat très intéressant les a amené à étudier la possibilité du contrôle de la sélectivité des réactions chimiques par le VSC. Autrement dit, à étudier la possibilité de favoriser la formation d’un produit plutôt qu’un autre dans une transformation à deux issues. Dans ce but, ils ont conçu un substrat comportant deux groupements silyls distincts pouvant réagir avec l’ion fluorure pour former deux produits différents. En accordant la cavité optique à différentes vibrations de la molécule, ils ont pu non seulement changer le rendement relatif de deux produits mais aussi montrer quelles vibrations sont impliquées dans le mécanisme réactionnel.  

            Cette découverte originale est une preuve de concept qui ouvre la voie vers le contrôle des réactions chimiques par un moyen physique simple : régler la distance entre deux miroirs et cela dans l’obscurité la plus totale. De plus c’est un outil pour comprendre la réactivité. Mais la collaboration entre les deux équipes ne s’arrête pas là. Ils sont actuellement en train d’étudier d’autres types de réactions pour essayer de comprendre les règles qui gouvernent la chimie sous l’influence du VSC.

Référence :

A. Thomas, L. Lethuillier-Karl, K. Nagarajan, R. M. A. Vergauwe, J. George, T. Chervy, A. Shalabney, E. Devaux, C. Genet, J. Moran*, T. W. Ebbesen*

Tilting a ground-state reactivity landscape by vibrational strong coupling

Science 2019, 363, 615-619. February 8, 2019

DOI: 10.1126/science.aau7742